L’emploi du BIM à grande échelle peut-il interférer négativement avec certaines professions actuelles (architectes en l’occurrence) ? Si oui, quels sont les points de vigilance ?
La question concerne les architectes comme beaucoup d’autres acteurs dont les entreprises sont souvent de petites tailles (sans négliger le fait que les architectes sont de plus en plus regroupés en sociétés de plusieurs dizaines de personnes et que beaucoup de petites agences de quelques personnes sont très opérationnelles et efficaces en BIM).
En tant qu’enseignant et formateur, consultant, AMO BIM, je considère avant tout qu’il faut savoir être pragmatique et raisonnable et notamment avoir des attentes BIM pertinentes par rapport au sujet (faire du BIM lié aux enjeux réels et spécifiques de chaque opération), se mettre au niveau des acteurs du projet (architectes comme entreprises de construction) car au final le BIM que l’on fera et obtiendra est celui que l’on peut réaliser avec les gens autour de la table, avoir un souci constant de communication, pédagogie, écoute, accompagnement.
C’est en ayant des demandes mesurées et justifiées, en aidant les intervenants à y répondre, que l’on peut se montrer exigeants par rapport à ses attentes. Il faut aussi savoir faire comprendre à chacun ce qu’il aura à y gagner pour son propre compte, afin de ne pas avoir l’impression de faire des efforts et prendre des risques au seul bénéfice des autres…
Les architectes ont de toute évidence un rôle particulier dans le processus : auteurs principaux des projets, bien souvent mandataires de l’équipe, ils sont les interlocuteurs naturels pour tous et notamment sur le BIM, puisque les maquettes qui se diffuseront et s’enrichiront seront basées sur la maquette initiale du projet de l’architecte.
Il faut donc se garder de penser que le BIM peut tout faire et servir à tout, qu’il est automatique, que le savoir-faire et l’expertise professionnelle peuvent être remplacés par un bouton dans un logiciel ou un nouvel outil créé par une start-up.
Le BIM ce n’est pas tout ou rien, l’important c’est de bien positionner le curseur, à chaque fois, dans chaque contexte.
Un encadrement normatif / juridique est-il nécessaire (propriété de la maquette…) ?
Les normes permettent de disposer d’un référentiel commun et partagé, alors que jusqu’à présent on déplore l’utilisation de termes et de concepts non consolidés que chacun expose et s’approprie à sa façon, source potentielle d’incohérences, de difficultés, de conflits.
Certains, y compris parmi les spécialistes, mettent des idées différentes derrière les mêmes mots, d’autres donnent des noms différents aux mêmes idées, d’autres utilisent des notions abstraites pour décrire des situations théoriques non encore opérationnelles… Les utilisateurs « normaux » n’ont que peu de chances de s’y retrouver…
Sur les aspects juridiques, il y a quelques points particuliers potentiellement nouveaux : la propriété intellectuelle d’une maquette œuvre d’un travail collaboratif, les responsabilités de chaque intervenant dès lors qu’il intervient sur une maquette partagée en ligne (ce qui reste très théorique, puisque ceci est le BIM niveau 3, à peine répandu car à peine fonctionnel), les responsabilités spécifiques associées au nouveau rôle du BIM Manager (depuis les travaux de la MAF et ses contrats spécifiques on considère que le BIM Manager n’est pas un constructeur au sens de l’article 1792 du code civil, et ne doit donc pas de garantie décennale à ses clients… s’il s’abstient de prendre part à des missions qui sont celles de la maîtrise d’œuvre, comme la synthèse par exemple).
Mais l’essentiel est déjà là, encore faut-il le connaitre et l’appliquer : droits d’auteur, propriété intellectuelle, responsabilités professionnelles, garanties décennales, contrats, conventions de groupement… tout ceci existait bien avant le BIM, et continue à être pertinent. On peut même reconnaître au BIM la vertu de rendre explicites et de formaliser des pratiques qui étaient parfois basées sur l’habitude, sans remise en question et sans détails.
Concernant la protection des données, l’interopérabilité et les différentes formes de partage : quels phénomènes et mécanismes de sécurité anticiper ?
Des précautions simples suffisent à se mettre sur une bonne voie, à éviter au mieux les embûches. Formaliser les échanges, décrire explicitement et sans ambiguïté le fond et la forme des échanges : qui donne quoi à qui, de quelle façon, dans quel but, à quel rythme ou échéance ? La convention BIM qui rappelle les demandes du maître d’ouvrage et qui décrit la façon dont l’équipe de projet va y répondre contribue largement à poser des bases saines et efficaces. L’utilisation d’une plateforme collaborative sera le bon moyen de mettre en œuvre ces échanges qui seront désormais centralisés, traçables, notifiés à tous.
Concernant les échanges de fichiers entre outils, mais également aussi entre des acteurs utilisant le même outil mais ayant des pratiques métiers différentes, il conviendra de définir les règles techniques, de procéder à des tests afin de valider ou améliorer les processus (les façons de modéliser les projets, d’ajouter des informations, de réaliser des imports, des exports, des consolidations de maquettes). Il faudra ensuite s’assurer en permanence que ces règles sont respectées et restent opérationnelles avec les évolutions du projet.
Je disais il y a quelques années qu’une traduction d’IFC pouvait être « Il Faut Communiquer », afin d’inciter les acteurs d’un projet à échanger leurs informations dans un format interopérable lisible par tous et notamment exploitable à l’aide de logiciels de visualisation simples et gratuits.
Je rajoute une nouvelle version : « Il Faut Contrôler » aussi bien en import qu’en export et ne pas s’appuyer les yeux fermés sur un échange de données, quels qu’en soient les émetteurs et les formats (même avec des standards comme Word et PDF il convient de s’assurer que le PDF résultant d’un fichier complexe est correct et il convient parfois de le retoucher, par exemple pour en réduire la taille et le poids …).