Le manque d’engouement pourtant espéré par les labels BBC Rénovation, principalement concentrés sur des critères de performance, montre qu’une étiquette (ou un label) qualité appliquée à la rénovation énergétique nécessite la prise en compte d’autres paramètres.
De nombreuses analyses ont montré que les préoccupations personnelles de santé et de bien-être passent avant les préoccupations environnementales. C’est le cas lorsque les consommateurs se tournent vers les produits alimentaires portant la marque « AB ». Aujourd’hui, le grand succès de cette marque de qualité et sa lente et sûre montée en puissance nous amène à nous interroger sur de possibles transpositions vers le bâtiment et la rénovation.
Bien entendu, la nature du marché de l’agriculture biologique n’est pas le même que celui de la rénovation énergétique et ne suscite par conséquent pas les mêmes attentes, ni les mêmes besoins. Dans le cadre du dossier thématique « Labelliser pour massifier la rénovation énergétique : une stratégie efficace ? », nous abordons le deuxième volet nous amenant à nous interroger sur deux points : peut-on s’inspirer de la marque « AB » pour attribuer une étiquette qualité à une rénovation réussie ? Y-a-t-il des limites à cette approche ?
Agriculture biologique, organismes certificateurs et label AB
L’Agence Bio (groupement d’intérêt public réunissant ministères et fédérations d’acteurs) définit l’agriculture biologique ainsi :
« mode de production et de transformation respectueux de l’environnement, du climat, de la biodiversité, du bien-être animal, de la santé des consommateurs, qui s’inscrit au cœur du développement durable, en faveur des générations futures ».
La certification « AB », le made in France et les limites
La confiance qu’accordent de plus en plus de Français à la marque « AB » n’est pas sans conséquence. D’une manière générale l’attitude des consommateurs face à des signes de qualité sécurisants a été soulignée par Tavoularis, Recours et Hébel, (2007). : « Les consommateurs se fient à des signes, à des symboles, porteurs d’informations claires et censées être objectives sans forcément connaître la réalité propre de leur contenu. Le consommateur se doit de « croire », de se persuader que le produit possède la qualité qui lui est attribuée »[5].
Cette idée est confortée par une enquête de l’Express[6], réalisée après la tenue des États généraux de l’alimentation en fin d’année 2017, annonçant qu’un quart des Français déclarent acheter « systématiquement » des produits français et que pour quatre Français sur dix, c’est un gage de qualité motivé par la volonté de soutenir l’économie et l’emploi en France. Ainsi se trouvent en parallèle deux approches : certifier la qualité mais aussi l’origine puisque la proximité est assimilée à un signe supplémentaire de qualité ou en tous cas présentant moins de risques.
Cela découle, comme expliqué précédemment, des différentes interrogations face aux scandales sanitaires en lien avec l’industrie agroalimentaire observés ces dernières années. Il s’agit donc, en grande partie, d’un marché à réaction qui peut parfois décevoir à son tour les consommateurs.
Il n’est pas rare de voir paraître aujourd’hui des études sur les limites de l’alimentation Bio et les capacités de production des agriculteurs, sur les risques de fraudes et de dérives. Le label devient victime de sa popularité, de sa notoriété, de la massification de sa diffusion et de son usage comme la référence de la qualité alimentaire.
Principes qui pourraient être appliqués à la rénovation : payer le prix juste à condition que la qualité, l’origine et les réponses aux interrogations soient claires, garanties et digne de confiance. Une fois la confiance créée, en garder le contrôle y compris face à la massification. La massification ne doit pas entraîner de dérives sur la qualité de la rénovation.
Cela ne va pas sans poser la question des obligations à atteindre avec un label si on souhaite conserver sa crédibilité face à la massification. Au-delà du travail sur les approvisionnements, les rendements, les variétés, il faudra investir dans la recherche et être à même de solliciter les instituts dédiés pour faire émerger des solutions au service de l’intérêt général de toute la chaîne de valeurs jusqu’aux consommateurs afin de garantir la qualité pour le consommateur et l’équité pour les producteurs même avec une production accrue et accélérée.
Pour cela, il faudra aussi former les producteurs aux méthodes de l’agriculture biologique et les accompagner pour qu’ils maîtrisent leurs coûts et préservent la valeur ajoutée créée.
Principes qui pourraient être appliqués à la rénovation : entrer dans une économie de la massification en prévenant les risques de dérives sur la qualité. Favoriser l’innovation, la montée en compétence de tous les acteurs et œuvrer dans une vision d’intérêt général.
D’une obligation de moyens vers une obligation de résultats
Or, à ce jour, tel que souligne UFC Que Choisir, ce sont les moyens des professionnels qui sont analysés et non les résultats : « L’agriculture biologique est un ensemble de règles, de contraintes, d’obligations que l’opérateur s’engage à respecter dans sa pratique professionnelle. C’est la façon de travailler qui est définie, non le résultat qui en découle [8]».
Mais pour faire face à la demande et assurer une massification réussie sans dénaturer les valeurs initiales portées par ces signes de qualités alimentaires, le pas est franchi pour abandonner la logique des moyens à mettre œuvre et aller vers les résultats à obtenir.
A l’issue de cette analyse nous constatons que, victime de son succès soudain alors qu’il était resté pendant longtemps dans un circuit d’initiés et à l’écart de la production et de la distribution de masse, la certification « AB », s’il veut maintenir le niveau de confiance et de garantie qu’il porte, devra s’adapter, évoluer et intégrer ces nouvelles attentes au risque de perdre sa crédibilité.
Principes qui pourraient être appliqués à la rénovation : garantir la confiance en garantissant les performances, la proximité et l’implication du territoire, des acteurs locaux, et l’affichage d’un tiers de confiance. Garantir une logique de valorisation des résultats plutôt que des moyens mis en œuvre.
Les limites des applications au marché de la rénovation énergétique ?
Ainsi certains principes à la base du succès de la certification « AB » peuvent trouver une application au marché de la rénovation énergétique.
Pourtant, le secteur de l’alimentaire reste différent de celui de la rénovation énergétique en de nombreux points.
En effet, à l’instar de la rénovation énergétique, le marché de l’alimentaire est un marché déjà existant et légitime auprès des usagers. Ce n’est pas le cas de la rénovation énergétique qui suscite encore un engouement peu marqué auprès des ménages français (voir notre article « Un label comme signe de confiance et de qualité, est-ce possible ? »). Certaines limites du marché de la rénovation proviennent du processus de consommation même des usagers : le marché de l’alimentaire propose une consommation immédiate de ses produits tandis que le marché de la rénovation énergétique demande un engagement sur plusieurs années pour être rentabilisé. De même, procéder à une rénovation énergétique de son logement est un acte ponctuel (voire unique) tandis que l’achat de produits alimentaires est un acte répétitif (voire quotidien).
Finalement, une étiquette qualité inspirée de la certification « AB » et appliquée à la rénovation énergétique devrait apporter une vision innovante. C’est également l’occasion d’impliquer la filière distribution professionnelle dans le portage de ce label en jouant sur la proximité à la fois territoriale et avec les dizaines de milliers d’entreprises artisanales, premières concernées et premiers interlocuteurs des particuliers.
Cette étiquette qualité nécessiterait d’être rigoureuse et exigeante en ce qui concerne la phase de production mais également sur d’autres étapes comme le transport, les approvisionnements, les rotations sur chantiers, les déchets, etc.
Enfin, le passage à l’acte et son nécessaire accompagnement seraient fortement associés à une communication réussie pour une « rénovation réussie ». Cette communication, s’adresserait aux particuliers selon la motivation qui conditionne la réalisation de travaux et selon leurs profils : particulier réalisant sa première acquisition ou ayant fini de rembourser son prêt, retraité en perte d’autonomie, ménage en situation de précarité ou sinistrés, etc.
La certification « AB » pourrait constituer une source d’inspiration pertinente pour le marché de la rénovation énergétique. Cependant, des questions subsistent sur l’intégration des critères qualité issus de la certification « AB » et transposés à la rénovation énergétique.
Le prochain article de ce dossier thématique « Expérimentation : quels écueils, suggestions et engagements pour étudier un signe distinctif de qualité ? » analyse ainsi les principes transposables et applicables du marché alimentaire pour une étiquette qualité dédiée à la rénovation énergétique. Et pose les bases d’une réflexion pour envisager le périmètre d’une possible expérimentation.